Pour voyager dans l’univers de la « naturo »… (2)
Les 2 tendances, Hygée et Panacée, vont donner naissance, dès l’antiquité, respectivement à 2 courants, qui s’incarneront dans 2 hommes, deux médecins célèbres, Hippocrate et Galien, et que nous appellerons, le premier le courant hippocratique, le second le courant galéniste.
Ces deux courants ,de l’antiquité à nos jours, en passant par le Moyen-âge et la Renaissance, ne cesseront de s’affronter en matière de santé :
Le courant hippocratique
Hippocrate, né dans l’île de Cos, vers 460 av. J.C., fait parti précisément des Asclépiades, famille de prêtres-médecins vénérant Asclépios. Dans cette famille, le savoir médical, qui englobait vraisemblablement la rhétorique et la philosophie, se transmettait oralement de père en fils, comme c’était la tradition à l’époque. Hippocrate est considéré comme le plus grand médecin de l’Antiquité et on lui doit, outre le fameux serment d’Hippocrate qui édicte les devoirs professionnels du médecin, de nombreux ouvrages dont les Aphorismes ( la célèbre devise « primum non nocere.» en fait partie).
Son grand mérite fut d’abord d’avoir libéré la médecine de l’emprise de la religion et d’instaurer l’observation clinique systématique. On lui doit d’avoir compris le premier, entre autres, que l’homme fait partie intégrante de son environnement, que les aliments et les exercices collaborent à la santé. Mais l’essentiel de sa théorie réside très certainement dans les trois faits suivants:
- La maladie est engendrée par l’altération des humeurs.
- Chaque malade, cet être unique, recevra un traitement individualisé.
- Le malade apparaît comme l’agent principal de sa propre guérison.
Hippocrate, nous nous permettons d’insister, fonde sa démarche sur le pouvoir d’auto-guérison de la matière vivante, en faisant appel aux facteurs naturels de santé que sont les quatre éléments (l’eau, l’air, l’eau et la terre) et qu’on retrouve en particulier dans les exercices et les aliments. Exercices et aliments collaborent à la santé tout en ayant des vertus différentes. Les premiers dépensent l’énergie disponible ; les seconds compensent les pertes. Le message d’Hippocrate est clair : c’est à chacun de trouver, pour son propre compte, le juste équilibre entre exercices et alimentation, en fonction des conditions de vie, de son tempérament et de ses capacités. Pour lui, la santé résulte d’un équilibre subtil et fragile, sans cesse à préserver (ou à reconquérir) entre des humeurs changeantes (le sang, le flegme, la bile et l’eau), entre les exercices et l’alimentation, entre le corps et l’esprit….
Le courant « galiéniste ».
Claude Galien, né à Pergame (Asie Mineure) en 131, est certainement le médecin de l’Antiquité le plus célèbre après Hippocrate, même s’il n’a pas la noble modestie de son aîné. Il suit dans un premier temps la tradition d’Hippocrate mais pour lui c’est la physiologie et surtout l’anatomie qui restent la base de la médecine. L’autopsie des humains étant alors interdite, il pratique la dissection sur les animaux, ce qui le conduit à faire des extrapolations hasardeuses sur l’homme. Ainsi, à la faculté de Montpellier, au début du16ème siècle, là où l’illustre François Rabelais fit ses études de médecine, on enseignait encore que l’utérus de la femme était bifide. Pourquoi ? Parce que l’utérus de la lapine l’était aussi ! Et il ne faisait bon de contester cet enseignement à l’époque. Par ailleurs, sa croyance dans l’existence d’un dieu unique explique certainement pourquoi l’Eglise protégea longtemps ses écrits. Mais là où Galien laisse surtout son empreinte est le domaine de la Pharmacologie (son étude des plantes médicinales garde le nom de pharmacie galénique), Il n’hésite pas, en effet, à l’aide de remèdes naturels ou chimiques, à réprimer des symptômes ou à stimuler des fonctions.
Selon les conceptions physiologiques modernes, nous pouvons dire des « hippocratiques » qu’ils sont fondamentalistes, dans la mesure où ils s’attachent principalement à renforcer le terrain, à gérer le capital d’énergie vitale, en faisant appel uniquement aux facteurs naturels de santé. En revanche, les « galiénistes », en procédant par répressions ou stimulations, à partir d’agents étrangers à l’organisme, seront étiquetés d’interventionnistes.
Quand deux courants en apparence opposés s’affrontent tout en restant complémentaires, il n’est pas étonnant de voir émerger une troisième voie prenant appui logiquement sur les deux précédentes.
Dans le cas présent, c’est à Avicenne que l’on doit cette troisième voie.
La 3ème voie : la conciliation.
Avicenne (Ibn Sina), médecin, philosophe et alchimiste, est né 980 en Iran. Célèbre commentateur d’Aristote au Moyen-Âge, il entame la traduction des œuvres d’Hippocrate et de Galien. Son œuvre, traduite en latin, en diffusant dans toute l’Europe devient vite une référence médicale et annonce les prémices des découvertes médicales de la Renaissance. Ses adeptes préconisent bien sûr les facteurs naturels de santé mais savent à l’occasion être symptomatiques Cette démarche jugée interventionniste par les puristes reste néanmoins justifiée dans l’urgence, chaque fois que le pronostic vital est en jeu ou tout simplement quand le potentiel vital est insuffisant.
Cette plongée dans l’histoire des hommes suscite une question : Comment ne pas rester enfermé dans un système binaire ? Comment procéder au rapprochement de deux courants qui s’annoncent incompatibles ?
Et si nous décidions, entre deux termes « incompatibles », de faire une petite place pour un troisième terme ? Et si nous apprenions à passer du binaire au ternaire ?
Alors nous avons toutes les chances de découvrir que deux courants opposés (Hygée et Panacée, Hippocrate et Galien) sont en même temps complémentaires.
Dans le cas présent, Avicenne a permis à Hippocrate et Galien de dialoguer.
A suivre…
Dr Alain Guyon